Samedi 8 novembre 2014 – La Courneuve
À l’occasion de la Journée de valorisation des langues maternelles, l’association Coparenf (Collectif de parents et d’enfants contre le décrochage scolaire) et l’Amicale des locataires ZAC 1 et 2 de La Courneuve proposaient, dans la salle municipale Philippe Roux, une conférence sur le thème : « L’apprentissage du français et des langues étrangères dans le milieu scolaire ».
La conférence-débat était animée par l’invitée d’honneur, Danièle Manesse, professeure émérite de sciences du langage à l’université Paris-III Sorbonne nouvelle, mais également par Jean-Louis Auduc, professeur agrégé d’histoire et ex-directeur-adjoint d’IUFM, et Kamila Eimerl, professeure émérite de psychologie du langage à l’université Paris-VIII/Saint-Denis.
En préambule, Céline Evita, bénévole à Coparenf et modératrice du débat du jour, présente deux associations de La Plaine-Saint-Denis qui assureront, après le débat, les animations manuelles : l’Amicale de La Montjoie et À pleine couture, récemment créée par Omou Doucouré. Cette dernière propose d’écrire un mot de bienvenue dans sa langue maternelle sur un « Mur d’expression » (une toile) qui sera présenté lors de l’inauguration du local de Coparenf, le 20 novembre 2014.
« Essayer de comprendre pourquoi certains enfants
ont des problèmes, pourquoi ils échouent à l’école »
En avant-propos, Céline Evita souligne « l’apport réel des langues maternelles et la place qu’elles occupent à l’école ». Prisque Nkuni, fondatrice et vice-présidente de Coparenf, remercie les trois universitaires de s’être déplacés à La Courneuve pour débattre avec des parents d’élèves. Danièle Manesse retrace succinctement son parcours professionnel : « J’ai beaucoup travaillé, depuis 20-30 ans, avec des classes de collèges populaires et en tant que 2
linguiste, je travaille sur tout ce qui touche au langage : comment on l’apprend ? Pourquoi les langues se ressemblent ? » Elle considère que le métier de linguiste est « une science qui ne juge pas, mais qui essaie de comprendre ce qui existe ». Ses objectifs : « Essayer de comprendre pourquoi certains enfants ont des problèmes, pourquoi ils échouent à l’école. » Son ouvrage Langues et échec scolaire à la Martinique et la Guadeloupe (publié aux Éditions L’Harmattan en 1996), un temps censuré après ses recherches, tente d’expliquer les raisons d’un échec scolaire important chez les enfants des deux îles caribéennes. La linguiste constate que « la violence est toujours associée à l’échec scolaire et qu’il faut dire aux gens : essayons de comprendre avant de juger ! »
« C’est la première fois que j’arrive un samedi à La Courneuve tout droit débarquée d’Argentine avec un décalage horaire conséquent… et là, on m’offre un collier », note avec humour Danièle Manesse, faisant allusion au cadeau offert à son arrivée par Coparenf. Avant de reprendre le fil de sa conférence : « Historiquement, l’école a été créée pour apprendre l’écriture, pour apprendre les textes religieux à l’origine ; aujourd’hui, l’école républicaine est l’école pour tous, dans un désir de partage et de respect pour tous. » La linguiste est catégorique : « Plus on sait, plus on est tolérant et ouvert ! » Et nous apprend que « le continent africain est le plus riche en langues par rapport au nombre d’habitants ».
Selon Mme Manesse, « l’entrée à l’école est un seuil important où l’enfant va devoir parler la langue de l’école, le français, ce qui constitue une rupture ou un passage de la langue de vie (famille) [d’origine étrangère] à la langue du savoir qui doit être accompagné sans dogmatisme par les adultes ». La linguiste nous rassure sur le fait que « l’enfant apprend très vite une langue étrangère et, donc, la langue de l’école : le français ». Elle nous informe, par ailleurs, que « l’humanité est riche de 4 500 langues » !
« Nous ne nous trouvons pas dans une situation plus dramatique qu’au XIXe siècle, fait-elle remarquer. À l’époque, Bretons, Basques… ont dû apprendre le français et, en 1866, 70 % des habitants de la France ne parlaient pas la langue officielle ! » Mme Manesse confirme que « l’écrit est un merveilleux moyen d’ouverture, mais tout ne s’apprend pas par l’écriture », donnant ainsi l’exemple des ateliers manuels. De même que l’Histoire ou les histoires peuvent se transmettre par la parole, fait-elle remarquer en citant ce fameux dicton : « Quand un vieux meurt en Afrique, c’est une bibliothèque qui brûle. » On apprend, au passage, que « la Chine compte au moins 400 langues » !
Danièle Manesse pense qu’il est nécessaire pour les enfants d’apprendre une autre langue que celle pratiquée chez eux : « C’est une très bonne chose que de parler une autre langue car apprendre à lire et à écrire, c’est apprendre à réfléchir sur la langue, par rapport aussi à sa propre langue maternelle. » Et la linguiste d’insister devant les parents : « À partir du Cours Préparatoire, ce que demande l’école, c’est que les enfants s’intéressent à la langue et non pas seulement pour avoir de bonnes notes ! »
Kamila Eimerl, professeure émérite de psychologie du langage, prend à son tour la parole devant un public attentif : « La communication dans laquelle est utilisée la langue commence avec les tout petits enfants : le bébé communique par des regards, des sourires, des gestes. Ceci est très important car c’est déjà l’apprentissage de la communication. » Elle insiste sur « l’importance du langage pour le futur [de l’enfant] : l’interaction avec ses parents, la vie sociale ».
La psychologue du langage poursuit son exposé en définissant la notion de “bain linguiste” : « On parle de “bain linguistique” quand un enfant est plongé dans deux langues différentes (celle de papa, celle de maman) […] » « Quand ces enfants développent deux langues, ils n’ont pas d’accent lors de l’apprentissage d’une autre
langue étrangère ! », nous apprend-elle. Mme Eimerl précise bien que
« la culture d’origine est la base, le rez-de-chaussée sur lequel se construisent les autres visions du monde ». En outre, elle invite les parents confrontés à ce problème à « faire comprendre aux enfants que les deux langues servent à quelque chose, même s’il y a toujours une langue qui domine ». Aux parents d’origine étrangère dont les enfants commencent à apprendre le français, Kamila Eimerl leur conseille ceci : « Aidez-les à établir une relation entre les mots dans leur langue familiale et les mots appris à l’école ! »
« À la maison, parlons et transmettons la langue d’origine ! »
Vient le temps des questions/réponses. En préambule, Danièle Manesse raconte comment elle a constaté, dans son enquête sur le terrain, « l’échec des enfants martiniquais et guadeloupéens qui vient du déchiffrage de la langue française et de sa non-compréhension ». Elle propose une solution simple : « Commencer à apprendre le français à l’oral pendant un an, puis passer à la compréhension écrite. »
Laurence Clementi, bénévole à Coparenf, s’inquiète de « l’expérimentation de nouvelles méthodes d’apprentissage de l’écriture, sans que les parents en soient avertis ». Mme Manesse lui répond que « la maternelle est déterminante pour l’entrée dans l’écrit : vos enfants s’habituent à entrer dans ce travail d’abstraction de la réalité ». « Il faut faire la lumière sur la question “comment on apprend ?”, précise-t-elle […] Avant qu’un enfant 4
apprenne à lire, il a besoin de savoir ce que c’est la lecture. » Avant de donner deux conseils précieux aux parents d’élèves : d’une part, « le calme, c’est fondamental pour apprendre ; notre savoir nécessite le recueillement, le silence » ; d’autre part, « à la maison, parlons et transmettons la langue d’origine ! ».
Mme Eimerl répond à Laurence que « les enfants vont apprendre à lire quelle que soit la méthode de lecture ». M. Auduc considère, quant à lui, qu’« il faut s’adapter à un monde qui change les techniques d’apprentissage, avec le numérique par exemple ». Au-delà des « effets pervers de l’école et de la peur des parents de voir leurs enfants prendre du retard »,
Mme Manesse explique que « si des enfants ont des difficultés pour apprendre, c’est qu’ils sont plus lents tout simplement ». Et elle tord le cou à certaines idées reçues : « La classe fonctionne si les enfants ne sont pas mis en compétition ! »
Jean-Louis Auduc intervient : « On a besoin d’une école rassurante car on a des enfants et des parents angoissés […] Dans la plupart des pays, contrairement à la France, c’est à partir de 10-11 ans qu’on commence à noter. » Il considère que « l’enjeu est de passer à une notation sous forme de diagnostic : qu’est-ce qui marche ? Qu’est-ce qui ne marche pas ? Et on voit ce qui avance. » Il dresse ce bilan alarmant, fruit de son expérience dans l’enseignement : « Ce qui est dramatique dans l’école française, c’est l’élève moyen qui se retrouve le plus pénalisé par la notation : on a l’enfer pour les mauvais ; on a le paradis pour les bons. » Avant d’en déduire, non sans humour : « Peut-être qu’il faudrait inventer le purgatoire pour les élèves moyens ? » M. Auduc prône l’accompagnement des enfants. Son maître-mot ? « L’évaluation », qui serait un diagnostic pour rassurer enfants et parents.
Danielle Rudent-Gibertini, conseillère déléguée à la Promotion de la vie associative à la Mairie de La Courneuve, salue l’idée de cette conférence-débat initiée par Coparenf. S’adressant à Prisque Nkuni, elle l’encourage : « Portez-leur [aux parents] ce message qu’il existe des réunions qui ne peuvent que les intéresser ! » Avant de remercier les intervenants universitaires pour la qualité de leurs propos.
La parole est ensuite confiée à une salariée de l’association franco-chinoise, basée dans le IIIe arrondissement de Paris : « L’association dispose de quatre médiatrices-interprètes et quatre formatrices en langue française, dont trois à Paris et une à La Courneuve/Aubervilliers. » Avant d’en décrire les missions : « Favoriser l’intégration des 5
immigrés chinois en France ; dispenser des cours de chinois aux adultes et enfants français ; un volet social avec l’ouverture de permanences dans des écoles ou des PMI ; et un travail sur l’intégration/prévention en relation avec le milieu scolaire. »
Stéphane Troussel, président du Conseil général de la Seine-Saint-Denis et maire-adjoint aux Finances locales à La Courneuve, intervient à la fin du débat : « J’écoute avec beaucoup d’intérêt ce que vous dites […] Souvent l’institution scolaire a du mal à donner leur place entière aux parents, et une association telle que Coparenf est le meilleur moyen pour faire réussir nos enfants. » Dans la foulée, Prisque Nkuni remercie « le Conseil général pour son soutien moral ». Profitant de la présence de son président, elle ajoute : « Je saisis cette occasion pour demander, au nom de Coparenf et des parents ici présents, une aide financière au Conseil général pour pérenniser le travail déjà effectué par Coparenf et organiser d’autres conférences-débats comme aujourd’hui. »
[Note du rédacteur : une aide financière du Conseil général promise pour l’exercice 2015 de Coparenf tarde à venir !]
Jean-Louis Auduc informe l’assistance que « des vidéos de trois minutes vont être mises en ligne sur le site du ministère de l’Éducation nationale pour essayer de répondre aux sollicitations des parents ». Avant de préciser : « Ces vidéos, vous le verrez, doivent beaucoup aux conférences organisées par Madame Prisque Nkuni. »
Céline Evita et Prisque Nkuni invitent enfin les intervenants et le public à se réunir autour d’un goûter convivial et à découvrir également les animations manuelles.
Mme Nkuni K. Prisque Gisèle Fandy M. Stéphane Miet
Présidente de l’association Amicale des locataires ZAC 1 et 2 de La Courneuve Rédacteur
Fondatrice et Vice-Présidente de l’association COPARENF Membre de COPARENF
(Collectif de parents et d’enfants contre le décrochage scolaire)
5 allée des Tilleuls 93120 LA COURNEUVE
prisquenkunikamena@yahoo.fr Photos : SNUipp-FSU
Tél. 06 13 20 25 15 et Coparenf
« Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité mais une réalité.
Ensemble, parents, enfants, professionnel(le)s, élu(e)s, attaquons-nous aux causes pour une meilleure prise en charge ! »
CR_Mme_Manesse (PDF)