Un public très hétérogène et volatile
Ces cours sont assurés une fois par semaine, le mercredi matin, de 9h à midi, depuis le mois de janvier 2015. Les effectifs sont assez variables d’un cours à l’autre. Nous recevons un noyau dur d’élèves fidèles et assidus (environ 5) auxquels viennent se greffer selon les mois une dizaine d’autres participants qui viennent sur des périodes courtes, au gré des changements de situation personnelle, administrative ou sociale qu’ils peuvent avoir à connaître.
Nous avions ainsi en 2015 trois à quatre mamans en apprentissage de la lecture, très investies. Mais elles ont chacune débuté une nouvelle grossesse qui les a conduites à interrompre la fréquentation de l’atelier.
Nous avons également reçu des femmes roumaines, roms pour certaines, qui ont cessé de venir au cours lorsque leur campement a été démantelé. D’autres personnes, primo-arrivantes, viennent de façon ponctuelle, en général adressées par la mairie, et disparaissent ensuite par ce qu’elles ont été relogées dans une autre commune ou pour d’autres raisons non portées à notre connaissance.
Notre public est donc à la fois très mouvant, volatile et très hétérogène en terme de provenance géographique, de culture, de compétences académiques. Certains apprenants n’ont jamais été scolarisés et sont dans un processus d’alphabétisation totale, d’autres ont un niveau supérieur au bac et s’inscrivent dans l’apprentissage d’une langue étrangère.
Les objectifs poursuivis : intégration, autonomie, ouverture
Nous cherchons à atteindre plusieurs objectifs : permettre à ces adultes primo arrivants ou pas (certains de nos élèves, les femmes en général, sont en France depuis une dizaine d’années, sans maîtriser la langue orale ou écrite) de se débrouiller au quotidien, de pouvoir suivre la scolarité de leurs enfants et être totalement acteurs de leur éducation, de participer pleinement à la vie de la cité, d’exercer leurs droits et devoirs, d’acquérir davantage d’autonomie.
Nous entendons aussi à travers ces ateliers travailler sur les notions de différences culturelles, d’intégration, et sur les valeurs de la République. Au-delà du travail sur la langue, nous assurons aussi un suivi social quand les élèves nous sollicitent avec un accompagnement administratif et une écoute que nous tentons de rendre aussi bienveillante que possible. A l’occasion nous sommes aussi amenés à faire de l’accompagnement à la parentalité. Nous souhaitons développer ce service.
Une pédagogie très différenciée
Ce public nécessite de notre part une adaptation et un ajustement perpétuels et une pédagogie différenciée. Nous avons développé nos propres supports pédagogiques, en utilisant au départ les manuels publiés par les maisons d’édition spécialisée mais surtout en produisant nos propres textes et exercices afin de nous adapter au plus près aux besoins et au niveau de chaque élève.
Nous rédigeons donc des textes en lien avec leurs préoccupations supposées (vie au quotidien, migration, exil, déracinement, procédures administratives, scolarité etc) ou en lien avec l’actualité et avec, pour chaque texte, un objectif langagier précis (travail sur le vocabulaire, l’expression des sentiments, les temps de l’indicatif, la construction grammaticale etc).
Des exercices sont effectués en cours en lien avec les notions abordées afin de pratiquer l’auto test. Pour les élèves plus avancés, nous faisons des exercices de production écrites. Les élèves sont incités en permanence à participer oralement, à répondre à des questions. Nous organisons parfois des jeux de rôle mais aussi des temps de réflexion sur des sujets d’actualité ou plus…philosophiques.
La semaine dernière, ils ont été invités à réfléchir au sujet de philo du bac donné en 1992 (mon sujet du bac) : pourquoi le progrès n’a-t-il pas fait disparaître les religions ?
Les neurosciences comme implicite théorique
Nous travaillons beaucoup sur la répétition, en conjugaison notamment. Chaque cours est l’occasion de revenir sur des règles de grammaire de base. Pour les élèves qui apprennent à lire, nous nous axons sur la méta cognition.
Nous leur expliquons pourquoi nous leur donnons tel exercice, en quoi il est censé leur permettre de progresser. Pour éviter le découragement ou la perte de confiance, nous rappelons aussi sans cesse en quoi il est plus difficile pour un adulte d’apprendre à lire et à écrire, nous leur transmettons des informations sur les principes cognitifs qui leur permettent de comprendre qu’ils ne sont pas en cause si parfois leur cerveau « refuse de comprendre » et que c’est à nous de trouver, avec eux, les bonnes stratégies.
Lorsqu’ils réalisent un progrès que nous savons remarquable d’un point de vue cognitif, mais qu’ils n’identifient pas forcément, nous le leur faisons remarquer afin de les valoriser.
Bienveillance et exigence
Les supports sont bien évidemment différenciés et adaptés au niveau et besoin de chacun, néanmoins nous essayons de réserver une partie du cours à un travail en commun de l’ensemble du groupe pour favoriser la coopération, l’entraide et l’émulation. En général, cela fonctionne très bien.
Nous avons ainsi travaillé sur deux poèmes de Rimbaud, et les élèves ont semblé beaucoup apprécié de prendre de la hauteur et d’être amenés sur d’autres territoires. Je pense que leur proposer de temps à autres des textes littéraires est très gratifiant pour eux.
Nous avons noué avec certains élèves des liens assez forts qui permettent de travailler dans la confiance et le respect mutuels. L’ampleur de la tâche est parfois oppressante mais la volonté qu’ils manifestent est un moteur puissant. C’est important : nous rions beaucoup.