Samedi 30 mai 2015 – La Courneuve

Capture d'écran 2016-01-27 21.40.29Cette rencontre-débat était organisée, à la Maison pour tous Youri-Gagarine, par la FCP (Force Citoyenne Populaire) et les associations Coparenf (Collectif de parents et d’enfants contre le décrochage scolaire), Bonnets d’âne, la Brigade des mères, le Collectif Sorties Scolaires avec Nous, TACTE (Tous Acteurs de l’Education) et FFR (Filles et Fils de la République).

« Apartheid scolaire » en Seine-Saint-Denis ?

« Actuellement, le système scolaire qui voudrait niveler les écarts entre les inégalités tend en fait à les accroître », commence Samir Hadj Belgacem, l’animateur des débats. Il présente ensuite le programme de la journée en insistant sur « l’idée de partager sur les inégalités de moyens dans les territoires, sur l’idée aussi de s’organiser dans le temps […] On parle de ségrégation scolaire, voire d’apartheid scolaire dans certains ouvrages de spécialistes de l’éducation ». Avant de donner la parole à Dominique Busson, professeur en BTS, qui dresse un état des lieux alarmant : « Depuis trois ans, on interpelle les ministres de l’Education nationale successifs, de Vincent Peillon à Najat Vallaud-Belkacem. Actuellement, 3 600 postes seulement ont été recrutés sur les 60 000 promis en 2012 […] La France consacre 6 000 dollars par enfant en école élémentaire, se trouvant ainsi à la traîne des pays les plus riches, alors que la Finlande en accorde 10 000 dollars. » Et en Seine-Saint-Denis ? Capture d'écran 2016-01-27 21.40.38« La part des 0-17 ans en Seine-Saint-Denis est issue à 41 % des milieux défavorisés, bien en dessous de la moyenne nationale (23 %) déjà élevée. Sans oublier que 20 % des élèves entrés en sixième ont déjà redoublé au moins une fois contre 10 % au niveau national », poursuit Dominique Busson. Et concernant les profs ? « Les non-titulaires représentent 12 % dans le 93 contre 7 % au niveau national. La stratégie de l’Education nationale consiste à faire signer des contrats précaires de 5 ans, parfois renouvelés ! » déplore-t-il enfin. « On peut penser que les pouvoirs publics testent la politique du pire en Seine-Saint-Denis », dénonce Saskia Cousin du collectif Bonnets d’âne.

Port du voile : communautarisme contre laïcité ?

La première partie des échanges est introduite par Nadia Remadna. Cette ancienne médiatrice scolaire explique ce qui l’a motivée à fonder son association, Brigade des mères, basée à Sevran : « De plus en plus d’enfants de moins de 15 ans se retrouvent à la rue. On a alerté le ministère de l’Education nationale du danger de la rue, mais aucun politique ne nous a soutenues. » La Brigade des mères mène des actions de sensibilisation auprès des parents et exige de l’Académie de Créteil qu’elle réintègre dans le système scolaire des élèves sans orientation livrés à eux-mêmes. Concernant les rapports Institution-parents, elle reconnaît qu’« [elle]-même, en tant que professionnelle, a eu du mal à y trouver sa place, alors les parents… »

Capture d'écran 2016-01-27 21.40.48« La réussite de nos enfants fait partie de nos priorités de mamans », se lance Prisque Nkuni, fondatrice de Coparenf. « Toute personne qui se lève pour agir pour l’éducation de ses enfants est courageuse. Nous ne devons pas reculer sur nos responsabilités de parents », insiste-elle. Elle soutient que la lutte contre l’échec scolaire doit être associée au travail pour la parentalité. « Le combat de Coparenf, qui s’inscrit dans une démarche de négociation, est de soutenir les parents et de favoriser de bonnes relations entre eux et les enseignants », précise-t-elle. Avant de conclure : « Les enfants sont intelligents et avec très peu de moyens, ils peuvent réussir. »

Capture d'écran 2016-01-27 21.40.55Trois mères voilées du collectif Sorties Scolaires Avec Nous (Le Blanc-Mesnil) prennent ensuite la parole. Cette association a vu le jour après la circulaire de Luc Chatel (27 mars 2012), alors ministre de l’Education nationale, interdisant l’accompagnement en sorties scolaires de personnes « portant des signes religieux ostentatoires » [La circulaire Chatel est une déclinaison de la loi sur les signes religieux dans les écoles publiques du 15 mars 2004, note du rédacteur]. Mouna Lamzaouek nous apprend que ce collectif « a déjà participé à une table de travail avec le ministère de l’Intérieur par rapport à un projet d’intégration et appelé à un rassemblement devant l’Académie de Créteil qui a débouché sur un rendez-vous avec le DASEN ». En revanche, « nous n’avons pas de réponse du ministère de l’Education nationale et les directeurs d’établissements préfèrent rester neutres par rapport à ce problème », déplore-t-elle. Une autre mère voilée rebondit sur l’occasion : « On interdit le port du voile aux filles au collège, pas de voile à l’université et maintenant nous, ça s’arrêtera où ? »

Une professeure d’histoire-géo, membre du Collectif pour l’abrogation de la loi sur le voile à l’école, rapporte le cas d’une jeune femme privée de concours de l’Education nationale pour cause de port du voile…

« L’union fait la force »

Capture d'écran 2016-01-27 21.41.05Dominique Busson présente à son tour Tous Acteurs de l’Education : « On essaie de porter la voix des parents de Pantin. Notre méthodologie de travail, c’est d’aller vers les gens dans les quartiers en essayant de faire du lien entre les vingt-cinq écoles de la ville. » Les bénévoles de cette association voudraient « être les porteurs des projets montés par des équipes pédagogiques dans les écoles ». « Le discours politique est de dire partout que les parents sont les premiers éducateurs de leurs enfants, fait remarquer Dominique Busson, mais dans les faits, les parents ne sont pas associés à l’éducation. » Avant d’ajouter que « le travail sur la communication est quelque chose de très important. »

Et à propos de communication… Saskia Cousin parle au nom du collectif Bonnets d’âne (Saint-Denis). « Dans cette société du spectacle, il faut faire pression sur les élus locaux et la ministre de l’Education nationale. Ils bougent lorsque leur image est ternie », constate-elle. Elle décrit les différentes actions de l’association : plaintes pour discriminations auprès du Défenseur des droits, actions illégales ou happenings pour susciter un relais médiatique… Avant de proposer aux associations présentes d’envoyer leurs informations à Bonnets d’âne afin que le collectif rédige et mette en forme les communiqués de presse sur le modèle d’articles journalistiques. « Les journalistes reprennent en intégralité nos 4

communiqués ! », se félicite-elle. Saskia Cousin propose d’utiliser le calendrier politique pour faire pression sur les élus, mais reste « perplexe quant au fait de faire bouger les lignes ». Elle prédit enfin « une rentrée catastrophique ».

Prisque Nkuni ne veut pas baisser les bras : « L’union fait la force, clame-t-elle, avant de déplorer le fait que des parents ne savent même pas le français, alors que la maîtrise de la langue est importante ne serait-ce que pour comprendre ce que l’enseignant inscrit sur le carnet de correspondance. »

« Personne n’a parlé de la pédagogie ; je m’interroge aussi sur les modèles pédagogiques que le collectif des associations portent », remarque un intervenant. « C’est un problème de riches ! », le coupe Saskia Cousin.

Valorisation du français et de la réussite scolaire contre victimisation

Capture d'écran 2016-01-27 21.41.14Fabrice Dhume, sociologue et chercheur à l’Institut social et coopératif de recherche appliquée, introduit la seconde partie des échanges. Le chercheur [co-auteur du très controversé rapport Vers une politique française de l’égalité, rendu en décembre 2013 au ministre du Travail et à la ministre à la Réussite éducative, note du rédacteur] fustige d’emblée « la surdité institutionnelle » face aux discriminations à l’école pointées par les associations. Il dresse tout d’abord un constat accablant : « L’école française est une des écoles les plus inégalitaires, les plus normalisatrices des systèmes scolaires. » Et s’engage ensuite sur un chemin tortueux : « Si aujourd’hui la revendication ethnique a autant de poids, c’est parce que ça s’est construit ainsi pendant la colonisation. » (!) Et poursuit, sûr de son expertise : « L’institution scolaire est instrumentalisée ; il y a une vraie instrumentalisation politique (qui est nationaliste) autour de la langue française et du concept de laïcité […] Il faut revoir les normes par lesquelles l’école sélectionne. » Prisque Nkuni (Coparenf) coupe le sociologue et enfourche son cheval de bataille en lui rétorquant : « Je ne suis pas d’accord avec ce que vous dites, la langue française doit être encore plus valorisée ! » Mais une mère attentive du collectif Sorties Scolaires avec Nous s’engouffre dans la brèche ouverte par le sociologue : « Au lieu de chercher les racines des attentats, on nous enfonce [les femmes voilées] encore plus. 5

Après les attentats, on n’a même pas eu le temps de respirer qu’on se retrouve coupables. » Et se dit victime de « racisme » de la part de l’Etat, de l’Institution scolaire.

Capture d'écran 2016-01-27 21.41.22Le débat fuse… juste au moment où Fabrice Dhume s’excuse de ne pouvoir rester plus longtemps. Il se propose d’envoyer aux associations présentes ce jour-là un texte avec ses propositions de travail. Et se lève pour partir. Coupé dans son élan par Nadia Remadna qui, très patiente jusque-là, l’interpelle : « Je trouve votre discours très dangereux. Si on continue avec ces histoires de colonisation, de racisme, de « ils ne nous aiment pas », ça va devenir explosif ! On enferme les jeunes dans ce statut de victimes […] » Face à cet enfermement dans la victimisation, elle préfère la valorisation de la réussite scolaire de certains enfants que l’on montrerait en exemple, ou encore le rapprochement des parents de l’école autour d’activités ludiques…

La journée s’est terminée dans la bonne humeur, mais certains intervenant(e)s sont resté(e)s sur leur faim. Ce qui promet d’autres débats associatifs sur l’école républicaine et les quartiers populaires, notamment sur les propositions et les actions à mener pour prévenir le décrochage scolaire. En effet, chaque année, 140 000 élèves sortent du système scolaire sans avoir obtenu de diplôme !

Mme Nkuni K. Prisque Gisèle Fandy M. Stéphane Miet

Présidente de l’association Amicale des locataires ZAC 1 et 2 de La Courneuve Rédacteur

Fondatrice et Vice-Présidente de l’association COPARENF Membre de COPARENF

(Collectif de parents et d’enfants contre le décrochage scolaire)

5 allée des Tilleuls 93120 LA COURNEUVE Photos : M. Othmane Daf

prisquenkunikamena@yahoo.fr

Tél. 06 13 20 25 15

« Le décrochage scolaire n’est pas une fatalité mais une réalité.

Ensemble, parents, enfants, professionnel(le)s, élu(e)s, attaquons-nous aux causes pour une meilleure prise en charge ! »

CR_Etats_Generaux_Ecole (PDF)

Compte rendu des Etats généraux de l’école et des quartiers populaires : « Quand l’école républicaine discrimine… »

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